Au coeur d'une vallée s'élève Villebasse, entrelacs de rues centenaires où s'entassent bicoques et immeubles, comme partout ailleurs. Depuis quelques années, sans que personne s'en inquiète, une étrange lune bleue vient éclairer le ciel. Ceux qui arrivent ici en repartent rarement, restreignant leurs existences à l'enceinte de la ville. Villebasse est leur horizon et leur malédiction. C'est au commencement de l'hiver que Le Chien arrive en ville. Il rôde de parcs en ruelles, partageant tour à tour la vie des uns et des autres, tantôt protecteur, tantôt justicier.
Avec ce premier roman poétique et onirique, Anna de Sandre nous donne à lire la mythologie contemporaine d'un monde ravagé par nos maux ordinaires.
Le titre, l'illustration de couverture, la mise en page nous ramèneraient presque à l'image d'épinal d'une poésie bucolique de chemin buissonnier. Les titres de chaque texte eux-mêmes, énigmatiques, semblent baigner dans l'éther d'une indétermination tissée de brumes apaisantes. Pour qui ne lit pas, et se contente du regard de loin porté sur la façade, " Un régal d'herbes mouillées " dégage ce parfum de sympathie un peu anecdotique, un peu condescendante aussi, que l'on porterait à tout travail que l'on sent bien façonné mais désuet, bien intentionné mais (osons le mot) mièvre. Qui le lit (diantre! lire un livre, comme on y va) comprend que cette façade a précisément été choisie pour le contraste qu'il offre avec ce qu'il enclot et qui finit par la déborder. Car chaque texte (tous très courts, n'excédant pas deux pages de phrases aérées), sous son apparence bien établie (dans l'imaginaire collectif, s'entend) de poésie naïve, offre un roman dont les personnages tanguent dans le drame de leur vie de misère, avant d'échouer sur ses rives les plus dures. Ces vies d'exclus, de laborieux, de débiles, de pauvres, de vieux, Anna de Sandre, avec une maîtrise rare de l'art du bref, parvient à nous les rendre en quelques traits, d'une plume qui les incise pour en faire jaillir toute la douleur mais aussi la beauté tragique. Et à l'odeur sucrée que la rosée vient déposer sur l'herbe vient se mêler celle, forte, âcre, des foins coupés.
Iris est haute comme trois pommes. Et l'escalier est si haut. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 marches ! C'est impressionnant, alors elle le gronde pour se donner du courage.Une fois l'escalier vaincu, Iris veut grimper plus haut, elle veut toucher le ciel ! Alors commence l'aventure ...
Il y a ceux qui donnent un nouvel élan à leur vie, ceux qui démissionnent, et d'autres qui ne savent choisir et s'enferment dans la folie.
Tous les personnages d'Anna de Sandre traînent une fêlure sentimentale, cicatrice de drames personnels. Des gens ordinaires qui le temps d'une journée, vont s'émanciper de leur fardeau affectif.
L'auteur éprouve une vraie compassion pour ses personnages qu'elle évoque dans une grande finesse d'écriture.
Anna de Sandre écrit comme on marcherait sur la pointe des pieds, elle écrit la vie comme elle est - du glissement de sens pudique au terme cru, rien n'est là sans sa justification profonde. Elle colonise les mots histoire qu'ils ne se figent pas dans la neige et va chercher ses protagonistes dans des pays qui n'existent que dans ses poèmes. Parfois on entend le craquement d'un cadavre d'oiseau gelé écrasé par le premier pas mal assuré du matin, ou le froissement d'une étoffe quand de la manche quelqu'un essuie la buée sur un carreau de cuisine - en arrière-plan se mélangent l'odeur chaude d'une lessive et celle de la tête de veau ravigote des voisins. Ça craque comme la glace au souffle des premières brises de mars, ça frissonne comme feuilles au vent, ça sent l'érotisme gourmand, le corps-à-corps des mots dont la graphie mêle les sens quand les allitérations font commerce de volupté langagière et réveillent l'esprit aux aguets de ce que l'on met de soi dans la lecture.
Astrid Waliszek (extrait de la préface)