La Première Guerre mondiale est considérée comme une rupture majeure de l'histoire contemporaine. Ses conséquences territoriales, politiques, sociales et technologiques, à l'échelle nationale et internationale, ont été amplement étudiées. Certains ont interrogé ses répercussions pour les sciences médicales et de la nature. Mais qu'en est-il des sciences de l'homme ? Que deviennent ces connaissances que leurs promoteurs continuaient à définir comme des sciences morales, au moment où l'humanité même semblait connaître ses "derniers jours" (Karl Kraus) ?
Mesurer l'impact du conflit sur ces domaines savants, tel est l'objectif de ce dossier. Il s'agit de retracer la transformation de la carte des sciences de l'homme en traitant de disciplines, de lieux et de techniques jusqu'ici peu abordés. Quelles sont les lignes de force structurant le redéploiement de ces savoirs après l'armistice ? Selon quelles modalités idéologiques, théoriques et pratiques prennent-ils acte - ou non - des effets du conflit ? Entre résilience et reconfigurations, changements et permanences, poursuite des oppositions en temps de paix et volonté de reconstituer une certaine communauté savante internationale, comment les sciences de l'homme ont-elles été "travaillées" par la Grande Guerre ?
Les Années folles de l'ethnographie relate une séquence passionnante de l'histoire de la culture et des sciences : les dix dernières années du Musée d'ethnographie du Trocadéro avant qu'il ne soit détruit pour laisser la place au Musée de l'Homme, inauguré en 1938. Dirigé à partir de 1928 par Paul Rivet et Georges Henri Rivière qui scellent une alliance inédite entre la science et la culture, le musée connaît une profonde modernisation à une époque où la reconnaissance des « arts primitifs » interroge le rôle même d'un musée d'ethnographie. C'est le début des Années folles de l'ethnographie qui révèlent l'engouement pour une discipline, l'ethnologie. Entrant dans l'ère de la communication et de la publicité, le musée veut en être la vitrine. Grâce à Rivet et Rivière, l'ethnologie est tout autant dans la culture (moderne, occidentale, française) qu'elle se veut culturelle, en étudiant non plus des « races primitives », des « peuples archaïques », mais des cultures (traditionnelles, exotiques) qu'elle se propose de décrire et comprendre, dont elle ambitionne de révéler la logique et la symbolique propres, les lois de fonctionnement - proposition à la limite de la provocation dans une société française éduquée dans le culte de l'empire et de la mission civilisatrice de la France envers des peuples marginalisés.