Filtrer
Littérature générale
-
Manie épistolaire : Lettres choisies, 1930-1991
Emil Cioran
- Gallimard
- Blanche
- 15 Février 2024
- 9782073040206
«La lettre, conversation avec un absent, représente un événement majeur de la solitude. Cherchez la vérité sur un auteur plutôt dans sa correspondance que dans son oeuvre. L'oeuvre est le plus souvent un masque.» Sélectionnées parmi plusieurs milliers dans les archives personnelles de Cioran, les cent soixante lettres ici réunies, la plupart inédites, sont adressées à sa famille et à ses amis, en Roumanie puis en France, à ses pairs et à ses lecteurs. On y croise notamment Aurel, son petit frère séminariste, Mircea Eliade, Carl Schmitt, Jean Paulhan, François Mauriac, Maria Zambrano, Samuel Beckett, Armel Guerne, Roland Jaccard, Clément Rosset, mais aussi la «Tzigane», sa dernière histoire sentimentale. Lucides, ironiques, existentielles, elles composent entre dix-neuf et soixante-dix-neuf ans un autoportrait intime et intellectuel de l'auteur de Précis de décomposition, et révèlent le génie de Cioran pour un art épistolaire qu'il mettait au-dessus de tout.
-
«Ce volume rassemble tous les ouvrages rédigés et publiés par Cioran en langue française. Le fossé qui sépare de ce corpus essentiel les oeuvres roumaines antérieures n'est pas seulement linguistique, spatial ni temporel:à la métamorphose complexe de la pensée en exil s'ajoutent, dès Précis de décomposition (1949), un nouvel art d'écrire, de nouvelles exigences stylistiques et un nouvel horizon éditorial, dont Cioran ne se départira pas. On n'entend évidemment pas nier l'existence ni l'importance de l'oeuvre roumaine. Il s'agit bien plutôt de respecter l'unité naturelle et puissante du corpus français, qui avait déjà rendu Cioran lui-même très réticent devant l'idée que l'on traduisît dans sa langue d'adoption ses textes roumains. Le lecteur trouvera ici les dix oeuvres par lesquelles Emil Cioran, devenu E.M. Cioran, écrivain français, s'imposa comme Cioran, l'un des plus brillants stylistes du XX? siècle. Il n'eut jamais aucun plan d'oeuvre général; il avança de texte en texte au gré de ses chaotiques nécessités intérieures, prenant seulement le soin, en des temps de plus en plus espacés au fil des années, de réunir ses écrits isolés dans des volumes cohérents. Syllogismes ou pensées, arrêts ou confessions, examens thématiques ou divagations désinvoltes - que disent ces textes de leur auteur? ne faudrait-il pas qu'il soit philosophe, lui qui n'évolue que dans le présent des sentences? mais ne se contredit-il pas trop, pour un raisonneur, ne serait-il pas plutôt l'écrivain rassemblant des points de vue, sinon des personnages multiples et différents? il ne parle pourtant que de lui-même, tout le temps, quand bien même il commenterait la misère de l'homme, les avantages du squelette ou la pierre de Caillois:n'est-ce pas là le fait d'un poète? et pourtant, ce serait un poète oeuvrant contre son propre lyrisme, pour le renoncement au moi, une manière de moine rongé par son égotisme verbeux:est-ce encore envisageable?... On perdrait ainsi beaucoup de temps à tâcher de dissoudre Cioran dans une solution générique ad hoc. N'étant ni ceci ni cela, et tout à la fois, il présente jusque dans cette complexité de nature une attitude récalcitrante et originale, libre comme l'est toute solitude. Les poches soigneusement délestées de toute illusion de pouvoir, de mérite ou de valeur, Cioran réfléchit à sa vie comme à l'existence dans sa totalité, car l'inconvénient d'être né n'est qu'un succédané d'un désagrément plus vaste encore - qu'il y ait quelque chose plutôt que rien.» Nicolas Cavaillès.
-
Il n'est pas aisé de tourner le dos aux évidences de la négation. L'auteur s'y est astreint, sans y parvenir toujours. « Le non m'excède » (leitmotiv du dernier chapitre) est comme la clef d'un livre où le oui surgit plutôt d'une nostalgie que d'un raisonnement. Ceux qui, éprouvant le vide comme une certitude affective, l'assimilent à une donnée primordiale de la conscience, comment se hausseraient-ils à l'affirmation ? Rien de plus difficile pour eux que de concevoir l'être; inaptes à le saisir par l'esprit, ils s'évertuent à le conquérir par la volonté, en même temps qu'ils poussent la négation jusqu'au point où elle s'annule elle-même. Il existe un savoir mortel à la vie, destructeur par essence, dont ces essais se réclament et se détournent tout ensemble. Autant dire qu'ils se présentent comme une série de perplexités, comme l'illustration d'un tiraillement. Si, entre l'être et le connaître, l'auteur opte en fin de compte pour le premier, c'est qu'il s'est exercé à penser contre soi, contre ses certitudes : tiraillement encore, qu'il a instauré cette fois au plus intime de lui-même. Dans ses conclusions, La tentation d'exister n'est qu'une protestation contre la lucidité, une apologie pathétique du mensonge, un retour à quelques fictions salutaires.
-
Homme en colère, moraliste à l'esprit corrosif, Cioran place le désespoir au coeur de sa pensée. Dans un style incisif et décapant, il livre ses aphorismes et réflexions sur le temps, la mort, la religion et la condition humaine : «Le plus grand exploit de ma vie est d'être encore en vie».
Une vision désabusée des hommes et du monde, une lucidité extrême.
-
Avec Divagations, ce recueil exceptionnel constitue la dernière oeuvre de Cioran écrite en roumain. Vaste ensemble de fragments probablement composés entre 1941 et 1945, ce recueil inachevé et inédit commence par une sentence programmatique : « L'imbécile fonde son existence seulement sur ce qui est. Il n'a pas découvert le possible, cette fenêtre sur le Rien... » Voilà sept ans que Cioran « [moisit] glorieusement dans le Quartier latin », la guerre a emporté avec elle ses opinions politiques et sa propre destinée a toutes les apparences d'un échec : le jeune intellectuel prodigieux de Bucarest a beaucoup vieilli en peu de temps, passé sa trentième année ; il erre dans l'anonymat des boulevards de Paris et noircit des centaines de pages dans de petites chambres d'hôtel éphémères.
Fenêtre sur le Rien constitue un formidable foyer de textes à l'état brut, le long exutoire d'un écrivain de l'instant prodigieusement fécond. Dès les premières pages, un thème s'impose :
La femme, l'amour et la sexualité - terme rare sous la plume de Cioran -, qui surprend d'autant plus qu'il est l'occasion de confessions exceptionnelles : « Je n'ai aimé avec de persistants regrets que le néant et les femmes », écrit-il. On lit aussi, tour à tour, des passages sur la solitude, la maladie, l'insomnie, la musique, le temps, la poésie, la tristesse. Chaque fragment se referme sur lui-même, et l'on note un souci croissant du bien-dire, du style. Peu de figures culturelles, réelles ou non, apparaissent ici, mais dessinent un univers contrasté et puissant : Niobé et Hécube, Adam et Ève, Bach (pour Cioran le seul être qui rende crédible l'existence de l'âme), Beethoven, Don Quichotte, Ruysbroeck, Mozart, Achille, Judas, Chopin, et les romantiques anglais.
Errance métaphysique d'une âme hantée par le vide mais visitée par d'étonnantes tentations voulant la ramener du néant à l'existence, ce cheminement solitaire et amer trouve encore un compagnon de déroute en la figure du Diable, régulièrement invoqué, quand l'auteur n'adresse pas ses blasphèmes directement à Dieu...
-
Recueil inédit, plus riche que ne le suggère son titre, Divagations a été écrit en roumain vers 1945 et constitue un document littéraire essentiel datant de la « seconde naissance » de Cioran à Paris. C'est le tournant de l'après-guerre marqué par une volte-face de la pensée et bientôt par le passage au français. Un lecteur attentif y décèlera de nombreux thèmes et quelques formules, que Cioran traduisit lui-même en français, dans Précis de décomposition (1949). Cet extraordinaire dernier livre, par quoi Cioran voulut en finir avec tout, représente le premier instant de l'âge des contradictions dans lequel l'écrivain est entré.
Recueil de fragments inscrit dans la lignée du Crépuscule des pensées (1940) et du Bréviaire des vaincus (1944), Divagations rassemble environ 230 maximes et aphorismes. Une première vingtaine de pages de fragments offre au lecteur des réflexions sur la mort, la décadence, la vanité, la souffrance, l'existence subjective, sur un ton qui rappelle Chamfort. La philosophie se pose comme « perception de la vanité » des choses et un combat s'initie contre toutes les illusions (y compris la littérature). Progressivement, les paragraphes tendent à s'allonger : le je, mais aussi le tu, s'ajoutent au nous impersonnel des premières pages, et les deux enjeux principaux du livre sont explicitement approchés : la « décomposition » (physique, morale et historique) et l'impossible idéal sceptique. Cioran critique tous les « fanatismes », toutes les croyances, toutes les fois, religieuses ou politiques.
Quelques pages semblent permettre d'entrevoir des échappatoires (la femme : « notre chemin le plus long vers la mort »...), mais il reste que le progrès n'est qu'une suite de fictions, Dieu une maladie, et l'espoir « jouer à colin-maillard au-dessus du gouffre ». Sa plume, de plus en plus corsée, tend maintenant à rappeler Baudelaire. Cioran met enfin en valeur le motif du suicide, qui divise l'humanité en assassins et en suicidés, et constitue une précieuse source de libération de soi au sein du calvaire de l'existence. Le livre s'achève sur un exceptionnel autoportrait de l'auteur en « homme en dehors des choses », qui s'est délesté de toute conviction pour mieux se livrer au Néant.
-
Pensées étranglées ; le mauvais démiurge
Emil Cioran
- Folio
- Folio Sagesses
- 5 Octobre 2017
- 9782072734250
«Le bonheur, c'est être dehors, marcher, regarder, s'amalgamer aux choses. Assis, on tombe en proie au pire de soi-même. L'homme n'a pas été créé pour être rivé à une chaise. Mais peut-être ne méritait-il pas mieux.» « Frivole et décousu, amateur en tout, je n'aurai connu à fond que l'inconvénient d'être né.» «Ces moments où l'on souhaite être absolument seul parce que l'on est sûr que, face à face avec soi, on sera à même de trouver des vérités rares, uniques, inouïes, - puis la déception, et bientôt l'aigreur, lorsqu'on découvre que de cette solitude enfin atteinte, rien ne sort, rien ne pouvait sortir.» «Nous sommes tous au fond d'un enfer dont chaque instant est un miracle.» Une pensée d'une exigence radicale, entre désespoir absolu et humour ravageur.
-
«Dans tout livre où le Fragment est roi, les vérités et les lubies se côtoient d'un bout à l'autre. Comment les dissocier, comment savoir ce qui est conviction et ce qui est caprice ? Tel propos, fruit de l'instant, précède ou suit tel autre qui, compagnon de toute une vie, s'élève à la dignité d'une obsession. C'est au lecteur de faire le départ, puisque aussi bien, dans plus d'un cas, l'auteur lui-même hésite à se prononcer. Aveux et Anathèmes étant une suite de perplexités, on y trouvera des interrogations mais aucune réponse. Du reste, quelle réponse ? S'il y en avait une, on la connaîtrait, au grand dam du fervent de la stupeur.» Cioran.
-
Le Bréviaire des vaincus est le livre charnière de Cioran. Il l'a écrit de 1940 à 1944, à Paris, mais en roumain. C'est son dernier (et sixième) livre en roumain, c'est aussi le premier écrit en France. Cioran se veut désormais parisien. «Je me repose dans les nonchalances de la France et je m'adoube chevalier de la langueur parisienne.» Mais il n'arrive pas non plus à se sentir français. «Y avait-il boulevard Saint-Michel un étranger plus étranger que moi ?» Alors, déchiré, sans espoir, il cherche un semblant de consolation en habillant sa pensée mortuaire dans les haillons de lumière de la poésie. Mais le lecteur français trouvera ici pour la première fois les idées et surtout le style de Cioran, celui qu'il a découvert dans les livres qui ont fait le ton et la pensée unique de l'auteur du Précis de décomposition.
-
1936 : deux années après son premier texte, Sur les cimes du désespoir, Cioran écrit Le livre des leurres. L'ouvrage est publié aux éditions Cugetarea de Bucarest. À cette époque, l'auteur, après une bourse d'études en Allemagne, devient professeur de philosophie dans un lycée de Brasov. Un an plus tard, il s'installe en France. En 1947, il écrit en français. Difficile pourtant d'invoquer la biographie pour rendre compte d'un texte d'une grande originalité et d'une extrême densité spirituelle. On y trouve déjà ce qui caractérise le style de Cioran : l'aphorisme considéré comme le moyen d'expression privilégié d'une vérité paradoxale et fugitive. Mais on découvre surtout une palette stupéfiante de figures - essai, prose poétique, prosopopée, prière, etc. - successivement convoquées pour traduire une expérience intérieure bouleversante, une nuit de l'esprit, qui s'ouvre sur la révolte et s'achève dans le silence.
-
Valéry face à ses idoles Les seuls problèmes que Valéry ait affrontés en initié sont ceux de l'écriture. Son culte de la rigueur se réduit à l'effort vers un éclat abstrait du discours. Ne rien laisser à l'improvisation ou à l'inspiration (synonymes maudits à ses yeux), surveiller les mots, les peser, ne jamais oublier que le langage est l'unique réalité ; telle est cette volonté d'expression, poussée si loin qu'elle tourne en acharnement aux riens, en recherche exténuante de la précision infinitésimale. Il est difficile de se figurer une langue plus épurée que la sienne, plus merveilleusement exsangue.
Quelques rencontres Pour deviner cet homme séparé qu'est Beckett il faudrait s'appesantir sur la locution «se tenir à l'écart», devise tacite de chacun de ses instants, sur ce qu'elle suppose de solitude et d'obstination souterraine, sur l'essence d'un ëtre en dehors, qui poursuit un travail implacable et sans fin.
Les débuts d'une amitié J'ai rencontré Eliade pour la première fois en 1932, à Bucarest [...]. Il était alors l'idole de la «nouvelle génération». J'étais étonné qu'il pût approfondir le Sankhya et s'intéresser au dernier roman. Depuis je n'ai cessé d'être séduit par le spectacle d'une curiosité aussi vivante, aussi effrénée.
-
-
Seul un monstre peut se permettre le luxe de voir les choses telles qu'elles sont. Mais une collectivité ne subsiste que dans la mesure où elle se crée des fictions, les entretient et s'y attache. S'emploie-t-elle à cultiver la lucidité et le sarcasme, à considérer le vrai sans mélange, le réel à l'état pur ? Elle se désagrège, elle s'effondre. D'où pour elle ce besoin métaphysique de fraude, cette nécessité de concevoir, d'inventer, à l'intérieur du temps, une durée privilégiée, mensonge suprême qui prête un sens à l'histoire, laquelle, regardée objectivement, ne semble en comporter aucun. Si l'homme antique, plus proche des origines, situait l'âge d'or dans les commencements, l'homme moderne en revanche allait le projeter dans l'avenir.Pour dynamique, pour positive qu'elle soit, la hantise de l'âge d'or n'en est pas moins redoutable : elle ne déchaîne les énergies d'une collectivité que pour mieux les enchaîner. Tout essor, tout excès met la liberté en péril, tout délire neuf s'achève en servitude.
-
On ne peut vivre qu'à Paris
Emil Cioran, Patrice Reytier
- Rivages
- Bibliotheque Rivages
- 10 Mars 2021
- 9782743652326
Un livre illustré à partir des aphorismes de Cioran : il distille ses maximes en se promenant à Paris, l'unique ville où on peut vivre - « c'est la ville idéale pour rater sa vie ». Un aphorisme doit cingler comme une gifle, il faut qu'il soit écrit sous le coup de la fièvre pour devenir un moyen thérapeutique pour se soulager du poids du monde. Surnommé le Diogène du xxe siècle, tant par ses propos qui relèvent des cyniques que pour ses refus des honneurs, Cioran devient ici un personnage de bande dessinée, le Tintin de la philosophie.