« Si les outils ne sont pas dès maintenant soumis à un contrôle politique, la coopération des bureaucrates du bien-être et des bureaucrates de l'idéologie nous fera crever de «bonheur». La liberté et la dignité de l'être humain continueront à se dégrader, ainsi s'établira un asservissement sans précédent de l'homme à son outil. » Dénonçant la servitude née du productivisme, le gigantisme des outils, le culte de la croissance et de la réussite matérielle, Ivan Illich oppose à la « menace d'une apocalypse technocratique » la « vision d'une société conviviale ». Ce n'est que par la redécouverte de l'espace du bien-vivre et de la sobriété qu'Illich appelait la convivialité, que les sociétés s'humaniseront.
Le travail fantôme est le travail non rétribué réalisé par tout un chacun au sein de la société. Or ces activités indispensables au bon fonctionnement du capitalisme sont invisibles ou invisibilisées. Ainsi s'ajoute à la peine des hommes un labeur de l'ombre imposé à des victimes consentantes mais qui pourraient bien un jour en demander compte. Ivan Illich s'adresse ici aux « colonisés », c'est-à-dire à une immense majorité de gens pris en main, pris en charge, mais qui commencent à revendiquer leurs responsabilités à travers la mise en oeuvre d'une société conviviale.
Au sein de nos sociétés industrielles où règne la surmarchandisation, c'est l'autonomie créatrice des valeurs d'usage par chaque individu qui se trouve être menacée. Ivan Illich montre comment à la fois le marché et l'expert professionnel exercent un contrôle social mutilant, en s'arrogeant l'autorité de décider qui a besoin de quoi, en fabriquant artificiellement des besoins. Les individus sont toujours davantage dépossédés tant de leur savoir que de leur autonomie, de leurs libertés et de leur capacité à créer.
Dès lors la reconstruction sociale commence par la naissance du doute chez le citoyen. Ivan Illich appelle de ses voeux une distribution équitable de la liberté de créer des valeurs d'usages. Or ce genre d'équité suppose des limites à l'enrichissement et à l'emploi, c'est-à-dire une société de la sobriété, du partage du temps de travail, des richesses et des ressources.
Ivan Illich (1926-2002)
L'école obligatoire, la scolarité prolongée, la course aux diplômes, autant de faux progrès qui consistent à produire des élèves dociles, prêts à consommer des programmes préparés par les « autorités » et à obéir aux institutions. À cela, il faut substituer des échanges entre « égaux » et une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, qui donne le goût d'inventer et d'expérimenter.
L'auteur de Libérer l'avenir poursuit ici sa recherche, pour les nations riches ou pauvres, d'un autre mode de vie : or, l'école doit pouvoir devenir le principal lieu d'une rupture avec le conformisme.
En 1984, un groupe d'habitants de Dallas contacte Ivan Illich pour l'interroger sur l'opportunité de créer un lac à l'emplacement d'un quartier central. Deux camps s'affrontent:les partisans rêvent d'un parc urbain avec un lac, qui serait aussi utilisé comme réservoir pour les eaux usées épurées; les opposants évoquent le gaspillage des deniers publics. Mais tous s'accordent sur la beauté de l'eau et sa vertu apaisante. Ivan Illich se rend sur place le temps d'une conférence:«Ce que je veux étudier, c'est l'historicité de la matière, le sens que l'imagination d'une époque donne à la toile sur laquelle elle peint ses imaginaires.»La symbolique de l'eau contient une puissance mythologique et son observation déclenche d'innombrables rêveries. Ivan Illich emprunte à l'histoire des villes, à celles des techniques, du corps et de la médecine, des religions, de quoi démontrer que la canalisation de l'eau, sa décantation, son traitement chimique ne suffisent pas à rendre la ville habitable. Habiter exige un rapport direct à la matière et non pas la simple «consommation» d'un «bien» rare, «géré» techniquement... L'eau exprime la vie, sa valeur n'a pas de prix.
Ivan Illich Dans la vigne du texte Du lisible au visible : la naissance du texte suivi de ABC, l'alphabétisation de l'esprit populaire avec Barry Sanders "?Le texte livresque est mon foyer... Ce foyer est aujourd'hui aussi démodé que la maison où je suis né, alors que quelques lampes à incandescence commençaient à remplacer les bougies. Un bulldozer se cache dans tout ordinateur, qui promet d'ouvrir des voies nouvelles aux données, substitutions, transformations, ainsi qu'à leur impression instantanée. [...] Comme les signaux d'un vaisseau fantôme, les chaînes numériques forment sur l'écran des caractères arbitraires, fantômes, qui apparaissent, puis s'évanouissent. De moins en moins de gens viennent au livre comme au port du sens. Bien sûr, il en conduit encore certains à l'émerveillement et à la joie, ou bien au trouble et à la tristesse, mais pour d'autres, plus nombreux, je le crains, sa légitimité n'est guère plus que celle d'une métaphore pointant vers l'information... La lecture livresque a une origine historique, et il faut admettre aujourd'hui que sa survie est un devoir moral...?"
Lorsque leur développement dépasse certains seuils critiques, certaines institutions deviennent les principaux obstacles à la réalisation des objectifs qu'elles visent. Cette « contre-productivité paradoxale », version moderne du mythe de la Némésis (déesse grecque de la vengeance), Ivan Illich en fait ici la théorie systématique à propos de la médecine. Il critique tout particulièrement la diminution de la santé des hommes sous l'effet du développement sans fin de l'institution médicale, en soulignant l'inefficacité globale d'une médecine coûteuse, la perte de la capacité personnelle des individus de s'adapter à des environnements variés et le mythe de l'immortalité qui conduit au déni de la douleur, du vieillissement et de la mort.
Cet ouvrage d'Ivan Illich s'inscrit dans la publication successive de quatre textes polémiques (Une société sans école, Énergie et équité, La Convivialité et Némésis médicale) qui suscitèrent des débats dans le monde entier. Illich relève
« Ivan Illich a été à l'origine de débats célèbres dont le thème était la contre-productivité des institutions modernes : au-delà de certains seuils, les institutions productrices de services, comme les écoles, les autoroutes et les hôpitaux, éloignent leurs clients des fins pour lesquelles elles ont été conçues.
Ivan Illich fut le plus lucide des critiques de la société industrielle. Il voulut en écrire l'épilogue et il le fit. Jadis fameuses en France, les «thèses d'Illich» ont peut-être été oubliées, mais jamais elles n'ont été infirmées. Après elles, la société industrielle a perdu toute justification théorique. Elle ne tient debout que grâce à l'hébétude de ses membres et au cynisme de ses dirigeants. Toutefois, plutôt que de débattre des thèses qui la dérangent, l'huître sociale s'en est protégée en les isolant. Il est temps d'affirmer que l'oeuvre d'Illich n'est pas une perle rare mais une réflexion fondée sur un solide sens commun. Il faut briser la gangue dans laquelle elle a été enfermée afin de libérer son inquiétant contenu. Alors que tous les bien-pensants croyaient encore aux promesses du développement, Illich montra que cette brillante médaille avait un revers sinistre : le passage de la pauvreté à la misère, c'est-à-dire la difficulté croissante, pour les pauvres, de subsister en dehors de la sphère du marché. Ses livres vinrent secouer la soumission de chacun au dogme de la rareté, fondement de l'économie moderne. » Valentine BORREMANS et Jean ROBERT Ce volume comprend : Libérer l'avenir, Une société sans école, Energie et équité, La Convivialité et Némésis médicale.
Né à Vienne en 1926 et disparu le 2 décembre 2002, Ivan Illich est justement considéré comme l'un des penseurs les plus importants et les plus prophétiques de la seconde moitié du xxe siècle. Un recueil de textes inédit, La Perte des sens, paraît en janvier 2004 aux éditions Fayard.
« Il convient impérativement de lire et de relire cette pensée pensante qui, tel le ricochet d?un caillou plat sur la surface de la mer, rebondit d?une idée iconoclaste à un principe sans âge, d?une intuition géniale à la remise en cause d?une fausse évidence. Cette pensée pensante est exigeante, elle réclame une lecture attentive qui seule permet d?en découvrir les incroyables richesses. [...] Cette pensée pensante dérange, ébranle, réveille et émerveille. Aucun lecteur, non, aucun, ne sort indemne d?une telle lecture, à la fois vivifiante et sans sentimentalité.
Ivan Illich n?a jamais prétendu être un «maître à penser» ; la seule leçon qu?il accepterait, non pas de donner, mais d?offrir est son attitude devant la douleur, la sienne et celle du monde, ce qu?il appelle le «renoncement», l?askêsis ? cet accord entier avec soi-même sans intervention d?un quelconque «outil» qui nous rendrait étrangers à nous-mêmes. [...] Un tel mot invite à une conduite à la fois morale et intellectuelle que l?on ne subordonne pas obligatoirement, à l?instar de Philon d?Alexandrie, à la sotériologie, mais qui provoque la joie, l?étonnement, la surprise.
Ivan Illich s?est tu, mais ses écrits sont là, à la portée du regard, et nous laissent tels ces «héritiers sans testament» dont parle René Char. Quel somptueux héritage ! » Thierry PAQUOT Ce volume comprend : Le Chômage créateur, Le Travail fantôme, Le Genre vernaculaire, H2O, les eaux de l?oubli, Du lisible au visible : la naissance du texte et Dans le miroir du passé.
L´eau est une ressource trop souvent perçue comme une marchandise qui coule dans nos robinets, sert à notre consommation puis devient un déchet qui est recyclé avant d´être renvoyé au cours d´eau. Dans cet ouvrage Ivan Illich, invité à une conférence à Dallas où un projet de lac d´épuration est envisagé, présente l´eau comme un élément constitutif de notre histoire et de notre devenir. A travers une série d´anecdotes culturelles, l´auteur emmène le lecteur dans la découverte de la ressource en tant que matière, imaginaire, aura, technique, composante des religions mais également des usages culturels. Cet ouvrage illustre combien l´eau est indispensable pour ""habiter"" nos territoires. L´eau exprime la vie, sa valeur n´a pas de prix.
« Je plaide pour une renaissance des pratiques ascétiques, pour maintenir vivants nos sens, dans les terres dévastées par le «show», au milieu des informations écrasantes, des conseils à perpétuité, du diagnostic intensif, de la gestion thérapeutique, de l?invasion des conseillers, des soins terminaux, de la vitesse qui coupe le souffle. »Ivan ILLICH
Voici un recueil qui dissipe beaucoup de malentendus nés dès la publication d'Une société sans école (1971).
En effet, bien qu'Ivan Illich ait toujours souligné qu'il ne préconisait nullement un retour aux modes de vie d'autrefois, on l'a maintes fois accusé d'entretenir une nostalgie du passé. Pourtant son fil directeur n'a jamais cessé d'être l'examen de notre temps Dans le miroir du passé, c'est-à-dire la recherche des origines de nos idées actuelles, afin d'en évaluer la validité ici et maintenant. Qu'il s'agisse de l'économie, de l'enseignement, de la médecine, de l'informatique et de sa " culture " ou de la bioéthique, il nous invite à réfléchir sur leur genèse, leur déploiement, leur emprise sur notre quotidien.
Savourer les joies du faire, pratiquer l'art d'habiter ou de souffrir, vivre harmonieusement, voilà ce à quoi nous convie Ivan Illich. Au-delà de ses thèses iconoclastes, on découvrira aussi les aspects inattendus d'une pensée indépendante dont la richesse n'a pas fini de nous surprendre.
ivan illich (1926-2002) prétendait traiter en historien des questions que d'autres auraient adressé à des théologiens.
il reprochait à l'église d'avoir institutionnalisé ce qui, par essence, est gratuit, et d'avoir instrumentalisé la charité. il voyait dans cette perversion d'origine lointaine des institutions modernes comme l'eglise, l'ecole et l'université, et ne cessa d'inciter le monde occidental à repenser celles-ci fondamentalement.
a la fin de sa vie, dans ces entretiens accordés à david cayley, il parle pour la première fois de la "corruption" du nouveau testament qui lui paraît le "péché originel" menant tout droit à la société de consommation, à la misère des autres, et à une relation aliénée entre les êtres.
ces entretiens constituent une sorte de "testament spirituel" qui éclaire l'ensemble de l'oeuvre d'ivan illich.
il pose l'histoire du bon samaritain et son acte de miséricorde spontanée - sans considération d'origine ni de religion - comme le véritable fondement d'une éthique capable d'unir au lieu de diviser.
un essai d'une force et d'une perspicacité rares à l'heure où les différentes croyances s'affrontent et se combattent...