Originaire de la région de la Foa en Nouvelle-Calédonie, le chef Ataï, personnage emblématique de l'insurrection kanak de 1878, fut tué lors des opérations de «?pacification?» de l'île. Sa tête et une main furent livrées par des auxiliaires kanak à l'armée française puis envoyées dans les collections d'une société savante, la Société d'Anthropologie de Paris. Débute alors, au sein du musée, la seconde vie d'Ataï marquée par une «?transmutation?» du trophée martial en spécimen scientifique. Sa dépouille sera rendue à ses descendants en 2014.
Tantôt figure du «?sauvage?» beau et anthropophage, ou du chef tacticien et insoumis, tantôt figure du révolutionnaire libérateur d'un peuple assujetti ou du pacificateur d'une colonie de peuplements, les interprétations passées et actuelles du Kanak Ataï offrent de multiples visages à explorer. Elles sont aussi indissociables de l'histoire plus générale des collections anthropologiques constituées de restes humains, héritage complexe aujourd'hui sensible.
Les chapitres de ce livre offrent des clés de lecture permettant d'appréhender les différents modes d'appropriation des éléments de corps humain du chef Ataï lors de leur parcours patrimonial, les logiques et les enjeux sous-jacents. À partir de l'analyse de nombreuses archives inexplorées, d'entretiens avec les scientifiques-conservateurs, l'auteur s'attache à reconstituer chacune des étapes de la patrimonialisation du chef kanak par la communauté des anthropologues -?prélèvement du corps ou parties en 1878, transport, catégorisation, transformation, étude scientifique, exposition puis restitution en 2014?- afin d'en cerner l'évolution des mécanismes, intérêts personnels, enjeux collectifs et spécificités. L'analyse se veut aussi comparative, confrontant tour à tour les pratiques de la Société d'Anthropologie de Paris à celles du Muséum national d'Histoire naturelle ainsi que les destinées de spécimens collectés en Nouvelle-Calédonie en cette fin de xixe siècle.
Le 5 octobre 1864, un violent cyclone s'abat sur la plaine du Gange. Calcutta, capitale de l'Empire britannique en Inde, est dévastée. «?Le jardin botanique de Calcutta figure désormais parmi les choses du passé?», lit-on dans le Gardener's Chronicle.
Trois décennies plus tard, le jardin était pourtant devenu l'un des plus éminents symboles de l'Empire britannique. Les visiteurs affluaient pour admirer un arbre immense à l'allure de forêt?: le grand banian. Son herbier, riche de milliers de spécimens venus de tous les territoires impériaux, en faisait un haut lieu de la classification botanique. Ses directeurs étaient tenus de contribuer à l'essor économique du Raj en tentant d'acclimater de nouvelles espèces et d'améliorer le rendement des récoltes. Ses responsables en écrivaient l'histoire comme celle d'un lieu colonial modèle qui servait la mission civilisatrice de l'empire.
Ce livre étudie le rôle à la fois symbolique et économique qu'a joué le jardin botanique de Calcutta dans le dispositif d'un empire alors à son apogée. À l'aide d'archives inexploitées jusqu'ici, Marine Bellégo nous plonge dans le quotidien à la fois monotone et tourmenté de l'un des plus grands jardins botaniques coloniaux. Elle met ainsi au jour les innombrables tensions qui parcouraient ce microcosme impérial dysfonctionnel, faisant un sort aux échecs d'acclimatation, aux désastres logistiques, aux problèmes de main-d'oeuvre et à la dureté implacable des relations humaines dans la sphère coloniale. L'ouvrage explore ainsi comment se rejouaient au sein d'un jardin botanique les ambiguïtés, les contradictions et la violence structurelle de l'entreprise impériale.