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jean freustie
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Le Droit d'aînesse est l'histoire d'un trio : un écrivain dans la quarantaine, confirmé, un peu alourdi par la vie (le narrateur), un autre de vingt-cinq ans, brillant, joueur et cabotin (Claude), et la petite amie de ce dernier (Catherine), une « grande fille, bien faite et élégante ». C'est l'histoire d'une amitié masculine, où la règle des âges est inversée, le plus jeune des romanciers impressionnant et dominant son aîné. C'est aussi l'histoire d'un amour, où le « droit d'aînesse » est finalement rétabli, respecté. Où sommes-nous ? Dans le Paris des Lettres des années cinquante, quand il y avait encore des « journaux littéraires » et que les maisons d'éditions s'affrontaient dans des tournois de boules, sur le terre-plein de Saint-Sulpice, en plein sixième arrondissement. C'est là où le narrateur rencontre Claude. Quelque temps plus tard, il lui confie son dernier manuscrit. Début d'une affection, mais aussi d'un rapport de force. Par le charme de l'insolence et des certitudes, Claude en impose à son ami plus âge. Le narrateur semble suivre son cadet, être sous sa coupe ; en fait, il l'observe. Bientôt, Claude lui présente Catherine. Qui va glisser d'un homme à l'autre. La phrase et cravatée de Freustié imprime un double rythme au livre. Lent et clinique, puis, quand la jeune femme entre dans la danse, accéléré et fatal. Le trio s'accorde avant d'exploser, le narrateur et Catherine changent de côté. Le Droit d'aînesse renseigne bien sur le mystérieux métier d'écrire. Solitude, découragement, distance, exaltation : Freustié sait de quoi il parle. Ce roman vénéneux traite aussi de l'ironie de l'amour. Pour la petite histoire, signalons qu'il est largement autobiographique. Et qu'il peut constituer une réponse implicite, amicale mais maligne, à L'Illusion comique, un roman de Bernard Frank, publié en 1955...
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Isabelle ou L'arrière-saison
Jean Freustié
- La Table Ronde
- La Petite Vermillon
- 25 Septembre 2014
- 9782710372486
Ecrivain taciturne vivant à l'écart du monde dans un hameau de Haute-Provence, Paul reçoit le temps des vacances Isabelle, sa fille de 17 ans. L'attirance est réciproque. Impudique et sensuelle, Isabelle fait tout pour séduire son père. Résistant à l'inceste, Paul n'a d'autre moyen, pour se défaire de cette passion interdite, que de lui consacrer un roman. Prix Renaudot 1970.
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Marthe, quoique l'auteur ait apposé à son dossier toutes les pièces qu'il possède, demeure mystérieuse. Autant dire qu'une personne, même simple, ne peut se réduire aux aspects successifs qu'elle présente. On sait d'elle d'abord qu'elle est mariée à un jaloux et qu'elle est infidèle. Elle est, au début, sensuelle, amoureuse. Plus tard, elle est déçue, c'est évident. Enfin, elle se met à mentir, ce qui n'arrange rien. Et on s'aperçoit, chemin faisant, qu'elle est aussi un peu folle, ce qui est bien le plus grand mystère possible.
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Un fils parle de son père. Il dit tout ce qu'il sait, tout ce qu'il a cru comprendre de lui en plus de soixante ans. Ayant donné durant toute sa vie dans les illusions de la morphine ou de l'alcool, il cherche à saisir, à travers la personnalité d'un père follement égoïste, quelle hérédité, quels exemples l'ont conduit à cette fatalité. Il s'aperçoit, chemin faisant, que c'est en réalité une admiration, une imitation inconsciente qui l'ont dirigé vers ces voies sans issue. Voulant singer le père, il a donné des défauts de son géniteur une image inversée, celle que réfléchirait un miroir. C'est son «double» qu'il poursuit ainsi avec une cruauté qu'il souhaiterait lucide.
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Ne délivrer que sur ordonnance ; l'entracte algérien
Jean Freustié
- La Table Ronde
- 6 Mars 2008
- 9782710330288
médecin militaire dans une petite ville d'afrique du nord pendant la deuxième guerre mondiale, michel goûte à la morphine par amour pour sa maîtresse suzanne - par désoeuvrement aussi.
premier roman de jean freustié, ne délivrer que sur ordonnance (la table ronde, 1952) raconte avec justesse une lente descente aux enfers. l'entracte algérien (publié trente ans plus tard) se situe dans le même cadre et à la même époque. y figurent à la fois des carabins pochards, en proie à d'hilarantes querelles, et des "populations arabes", appelées à connaître un triste destin.
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Lorsqu'il évoque sa mobilisation après le débarquement allié en Afrique du Nord, Jean Freustié observe que le méchoui d'adieux organisé à l'internat n'était pas si joyeux : " A ce festin nous avions convoqué tous nos amis, y compris quelques infirmiers arabes avec lesquels nous avions travaillé depuis deux ans et sympathisé beaucoup en apparence.
" Les médecins français sont des fêtards bruyants et incongrus, l'un ayant mérité la francisque, prestement remisée au vu des événements.
L'Entracte algérien recèle des scènes de querelles entre carabins pochards qui sont des occasions d'hilarité à chaque relecture. Mais il n'y a plus bientôt de quoi rire, et c'est bien l'avis, aussi, des " populations arabes " : " On allait les mobiliser à nouveau, ils seraient la piétaille.
Leurs tombes seraient en Tunisie, en Italie, en France. "
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Paul, la cinquantaine, riche à la mort de sa femme Martha de vingt-cinq ans son aînée, est devenu peintre par désoeuvrement, se spécialisant dans la peinture de tout ce que la mer laisse sur le sable. A-t-il été gâté par la vie ? Après ses études de médecine il est prisonnier en 1940, évadé, résistant, torturé. A son retour, il essaiera de lutter, contre la maladie de Martha, contre l'alcoolisme. Martha meurt et il renoue avec son Sud-Ouest natal, les femmes, anciennes ou nouvelles maîtresses, et les souvenirs amers qui le conduisent à un suicide non prémédité.
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Vivant seule dans une triste petite province, Albertine, vieillie, ressasse ses souvenirs entre ses heures de service à l'hôpital où elle est infirmière. Très jeune, elle a été la maîtresse de Paul, personnage pour elle prestigieux, prisonnier évadé, résistant héroïque dont elle a plus tard favorisé la liaison avec son amie Yvette. Paul, habitant Paris, a peu à peu délaissé ses relations provinciales. Yvette s'est suicidée. Quelques années plus tard, Paul, par lassitude et dégoût de lui-même, l'a suivie dans la mort. Albertine se répète "son" drame jusqu'à en faire une légende, une schizophrénie.Pour mieux rêver à l'unique aventure de sa vie étriquée, elle entreprend de rénover sa maison natale délabrée. Quittant les lieux pendant les travaux, elle rencontre à Biarritz un très jeune homme, Roger, qui assez vite lui confie son goût maladif de la pureté, son horreur de l'acte sexuel. Intriguée puis vaguement séduite. Albertine souhaite lui découvrir une attitude plus normale. Ce n'est pas sans hésitations qu'elle se donne à ce garçon gravement psychotique. Mais elle croit sa mort proche, elle s'est inventé un cancer qu'elle a décidé d'ignorer plutôt que de consentir à la maladie. Sa liaison avec Roger sera brève et plutôt manquée.De retour au pays, dans sa maison rénovée, elle apprendra par un examen de hasard qu'elle n'est pas malade. Mais ses appréhensions n'étaient pas vaines : un soir Roger frappe à sa porte...
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Deux personnages seulement suivent le convoi mortuaire de Juliette au cimetière Montparnasse : Pierre, son ex-mari, le narrateur, et Monique qui joua dans la vie du couple un rôle énigmatique. A soixante ans, Juliette s'est éteinte dans la chambre d'une clinique psychiatrique, mais elle était depuis longtemps morte au monde. Pierre, architecte en renom, divorcé d'avec elle depuis plus de dix ans, va remonter le temps pour essayer de mieux comprendre celle qui fut sa femme - et peut-être son seul amour. A cette recherche du temps perdu et à l'analyse de la lente désagrégation psychique de Juliette, Pierre se livre avec une apparence de désinvolture. Mais l'obsèdent surtout le désabusement d'un homme qui a vieilli, l'usure de tout plaisir, l'"à quoi bon ?" devant tout projet. Comme Juliette, lui aussi s'est peu à peu séparé du monde, s'est frileusement enfoui dans son métier. Ainsi, Pierre découvrira-t-il tout ce qui l'a lié et le relie encore à Juliette : un amour qui de véritable devint utopique, puis s'évapora avec les jours mais connut son dernier avatar dans un muet dialogue entre Juliette la schizophrène et lui qui n'est peut-être qu'un fou lucide. Dans ce roman, le scabreux est évoqué à la lumière froide de l'analyse, la longue agonie mentale d'un être nous est décrite avec une tendresse refoulée et le sentiment tragique de la vie détaillé dans ses ressorts quotidiens.
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Un homme qui a largement dépassé la cinquantaine dresse un bilan de sa vie sexuelle. Que sa " libido " soit en baisse, qu'il regarde moins qu'autrefois les femmes dans la rue, son médecin s'en est inquiété : la psychanalyse nous apprend en effet que la libido est avant tout pulsion vitale et non uniquement sexuelle.À partir de cette notion, Pierre, journaliste, écrivain, mais qui pourrait tout aussi bien être entrepreneur en bâtiment, tant il est évident que sa feinte confidence s'adresse au plus grand nombre, se remémore l'insatisfaction profonde que lui a toujours apportée une fonction dont il s'était promis monts et merveilles dans son adolescence.Toujours il a redouté de ne pas faire preuve d'une virilité suffisante, en sorte que sa vie sentimentale n'a été que craintes et appréhensions successives. Et quand tout s'était bien passé, alors c'était lui qui se laissait, animale triste post-coïtum.Bref, à distance, son fantastique effort de séduction lui semble poursuite de chimères et soucis inutiles.Les situations les plus baroques, les plus comiques, n'ont pas manqué dans cette vie qui se proposait de prendre l'amour au sérieux. Des femmes séduisantes, difficiles, faciles, souvent folles, se succèdent dans ce tourbillon de fantômes à quoi se résume pour finir une existence au long de laquelle notre héros aura appris au moins une chose : c'est qu'il lui faudrait mourir un jour sans avoir rien possédé vraiment.Notre narrateur, marié dans des circonstances cocasses qui l'ont muni d'une famille de couleur d'origine africaine, aura tout essayé, l'alcool, la drogue, l'abstinence, la fidélité, l'adultère, avant de se demander tout à la fin, et fort ingénument, si l'amour ce n'est pas justement ce sentiment, peu exaltant mais fort, qu'il porte à son épouse.J.F.
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L'auteur a exercé la médecine pendant près de trente ans. Depuis ses débuts dans la carrière sont intervenues d'innombrables réformes dont l'efficacité ne l'a pas convaincu. Aussi, se souciant peu d'une chronologie illusoire, décrit-il ce qui de son expérience d'ensemble prédomine. Le narrateur qu'il nous présente, Jean Odéro, doué d'une puissance génitale hors du commun gâche sa carrière par d'innombrables aventures sexuelles mal combattues par un puritanisme foncier. La guerre d'Algérie l'empêche de se consacrer à la chirurgie qui, plus qu'une autre spécialité, conviendrait à son esprit concret. Il essaie successivement la médecine générale, la publicité pharmaceutique, la médecine du travail. Adversaire de tous les "psy" et de la perversion du langage que ceux-ci encouragent, sensibilisé à tous les ridicules de son temps, il parvient malgré tout à cette situation, pour lui idéale, d'assistant d'une équipe chirurgicale. Cependant, auprès de la douce Solange, s'apaise avec le temps la frénésie érotique entretenue par d'exceptionnels moyens physiologiques... peut-être imaginaires.
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Interprété par Alain Delon et Véronique Jannot, le film Le Toubib est réalisé par Pierre Granier-Defferre d'après le roman de Jean Freustié, Harmonie ou les horreurs de la guerre, dans une adaptation de Pascal Jardin et Pierre Granier-Defferre. Dialogues de Pascal Jardin. Musique de Philippe Sarde. Coproduction ADEL Productions/Antenne 2/Films 21.Le meilleur livre de Jean Freustié.Claude Roy, Le MondeLa phrase de M. Jean Freustié, qui est médecin, est brève et efficace comme un acte médical. L'art de l'écrivain est de nous faire sentir que nous pénétrons dans des régions très profondes, très douloureuses de la vie et de la sensibilité des hommes.Robert Kanters, Le FigaroVingt-quatre heures de la vie d'une antenne chirurgicale dans une armée et une guerre non désignées. La grande force de ce récit c'est que la vie, la douleur, la mort s'y jouent dans le silence et l'anonymat... et toute l'horreur du monde recule devant la tendresse et le désir.Roger Grenier, Le Nouvel ObservateurUn récit rapide, sensible et déchirant, la réussite la plus complète de Jean Freustié.Kléber Haedens, Le Journal du DimancheLe roman de M. Jean Freustié est un émerveillement.Didier Decoin, Les Nouvelles LittérairesUn roman bref, singulièrement homogène et mené de main de maître.Geneviève Dormann, Le PointUn monde de violence et de mort, un monde d'amour et de vie. Un vertige, une joie grave qui demeure.Christian Giudicelli, La Quinzaine Littéraire
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Dès qu'ils ferment les yeux, la plupart des écrivains retrouvent leur enfance. C'est l'abandon délicieux au cours des souvenirs, sans la contrainte et le carcan de la fiction.Jean Freustié, le romancier cruel, presque féroce, de Marthe ou les amants tristes, de Ne délivrer que sur ordonnance ou de L'autre été, cède ici la place au mémorialiste. Il se livre tout entier ; l'ironie qu'il mêle à ses propos n'est même plus un masque : on dirait qu'elle naît, tout naturellement, du monde qu'il décrit.Aux balcons du ciel, c'est un conte de fées, sans Carabosse ni Merlin, simple enfance d'un heureux petit bourgeois, dans une ville de province, au lendemain de la guerre de 1914. On y " reconnaît " - comme s'il racontait notre histoire - un grand-père " gâteau ", une mère incomprise, un père volage, des vacances à Royan, à Biarritz, au Cap Ferrat, une bonne odeur de confitures et de linge propre, la clique municipale, un sombre collège qui fait peur, Le fils du Cheik fascinant et muet, les postes à galène, une Chenard et Walcker qui vrombit et pétarade, L'Épatant, L'Illustré, les réglisses à deux sous...En somme, passé huit ans, la vie ne vaut plus la peine d'être vécue. " Au-delà, ce ne sont plus qu'histoires d'adolescent, histoires d'amours, beaucoup d'histoires pour rien ; et le temps a perdu sa saveur. "Mais il est rare qu'un écrivain réussisse à la restituer avec cette acuité, cet humour, ce bonheur d'expression, et cette liberté comme ingénue.
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C'est peut-être dans ce recueil de nouvelles que s'exprime avec le plus de perfection, le talent presque insaisissable de Jean Freustié. Nostalgie, tendresse, humour, émotion, gravité, moquerie, tout se mêle chez cet écrivain secret, un des rares romanciers qui sache être sincère sans tapage ni provocation.À la première lecture, ces textes ont l'air d'être des histoires toutes simples, des souvenirs ou des rêveries ; on pourrait croire que l'auteur a seulement voulu nous raconter de brèves tranches de vie. De sa vie, parfois, puisqu'il écrit souvent à la première personne. Mais cette compréhension profonde qui le lie à ses personnages les rend aussitôt attachants, d'une singulière vérité. Ces solitaires qui essaient d'échapper à eux-mêmes, nous sont immédiatement proches, fraternels. Et ces nouvelles, on éprouve bientôt l'envie, le besoin de les relire.Qu'il soit ironique, attendri, ou amer aussi, cet écrivain préserve une qualité qu'on pourrait appeler l'innocence. Une innocence blessée, bafouée. Des vieilles dames bizarres, des malades, des alcooliques, des désaxés, des copains, des amours timides... Son monde est fragile, inquiet, poétique, mal compris des " autres ". Pourtant, chacun de ses lecteurs aura l'impression d'y retrouver une part de soi que Jean Freustié a su glisser là, avec une adresse unique et ingénue : celle du coeur.
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Voici le plus construit, mais aussi le plus libre des romans de Jean Freustié. On y retrouve cette tendresse, cet abandon, cette impertinence qui faisaient le charme de Marthe ou d'Un autre été ; on y découvre une force et une rigueur nouvelles, un romancier parvenu à la maîtrise de son grand talent.Unité de temps : une nuit ; unité de lieu : une petite ville de province ; unité de ton : celui d'une confession. Claude est un peintre, un homme blessé par la vie, un malade menacé par la mort, qui revient chercher dans sa ville natale " le pas de ses vingt ans ". Sur la passerelle du chemin de fer, toute une nuit il déroule pour Yvette, dix-neuf ans, rencontrée la veille à la gare, le fil de ses souvenirs. Dialogue, ou plutôt duo, où chacun suit sa voie : tandis qu'Yvette, naïvement, raconte son présent artificiel, dérisoire - cinéma, presse du coeur, rêves d'amour et télévision -, Claude évoque des femmes aimées, des scènes, des visages ; il reconstruit une ville, il remonte le temps pour ressusciter l'adolescent qu'il n'est plus.Pressé d'aller au fond des choses, au coeur de soi, à l'essentiel, Claude semble déjà son propre revenant. Grâce à une langue d'une pureté sans défaut, simple, douce, nette, un envo-tement progressif saisit le lecteur et l'attache à ce beau livre, à ce personnage, comme à un ami de toujours.