«En toi rien n'a vraiment changé.» Ainsi se terminait le précédent livre de Carlos Castaneda, Voir (Les enseignements d'un sorcier yaqui). C'est le même sorcier indien, don Juan Matus, qui constitue la figure centrale du Voyage à Ixtlan. Deux conceptions du monde s'affrontent ici. Elles ont pour enjeu la conscience de l'auteur qui se voit soumis à un déconditionnement intensif, auquel il se prête avec curiosité, tout en s'efforçant de comprendre ce qui lui arrive. Ainsi s'opère une initiation déroutante à la faveur de laquelle l'Occidental pénètre toujours plus profondément dans le monde mental de son guide. Initiation qui ne va pas sans rébellion, scepticisme et repentirs, sans parler des terribles angoisses qu'elle impose au néophyte. Initiation qui se poursuivra pendant dix ans et prendra fin sur une illumination qui forme la dernière partie du livre.
Malgré ses progrès sur le «chemin du guerrier» qui lui ont valu le titre prestigieux de «nagual», Castaneda reste un éternel disciple en face de don Juan qui, inlassablement, poursuit son enseignement et tente d'initier son élève à des concepts de plus en plus élaborés et concis à la fois. C'est dire la part de mystère qui reste attachée, pour l'apprenti, aux «noyaux abstraits», ces vérités qui ne passent pas par le truchement des mots et participent d'une «connaissance silencieuse» qui ne se laisse aborder que par intuition directe. Elles sont partie prenante de l'«esprit», de l'«intention», et ne se révèlent qu'au terme d'une ascèse parfaite. Tel est le prix à payer pour approcher l'«abstrait», ce domaine mystérieux où le raisonnement doit le céder à la raison pure, et où le discours prend fin pour laisser place au silence de la «véritable» connaissance.