«Ce n'est pas pour devenir écrivain qu'on écrit.C'est pour rejoindre en silence cet amourqui manque à tout amour.Je m'assieds devant la table d'écritureet je laisse venir à moiles différentes régions du ciel.»Né en 1951, Christian Bobin bâtit depuis près d'un demi-siècle une oeuvre poétique inclassable qui au cours du temps réinvente ses formes. En privilégiant une écriture concentrée, tantôt faite de notes brèves prises sur le vif comme dans un carnet de peintre, tantôt de visions poétiques très denses, creusant au plus profond de la psyché humaine, il aborde des thèmes universels comme l'amour, la mélancolie, l'absence. Touchant les âmes simples comme les érudits, son écriture lumineuse est un rempart contre le désenchantement, mais aussi contre l'irrésistible prolifération d'une «pensée» unique. Il nous parle des voix singulières, des pensées à contre-courant, de visages qui nous rendent vivants, des sourires «ces plus beaux exploits du monde».
«Moi, bonheur ou fortune, après avoir campé sous la hutte de l'Iroquois et sous la tente de l'Arabe, après avoir revêtu la casaque du sauvage et le cafetan du mamelouk, je me suis assis à la table des rois pour retomber dans l'indigence. Je me suis mêlé de paix et de guerre; j'ai signé des traités et des protocoles; j'ai assisté à des sièges, des congrès et des conclaves; à la réédification et à la démolition des trônes; j'ai fait de l'histoire, et je la pouvais écrire:et ma vie solitaire et silencieuse marchait au travers du tumulte et du bruit, avec les filles de mon imagination, Atala, Amélie, Blanca, Velléda, sans parler de ce que je pourrais appeler les réalités de mes jours, si elles n'avaient elles-mêmes la séduction des chimères. [...]Je me suis rencontré entre deux siècles comme au confluent de deux fleuves; j'ai plongé dans leurs eaux troublées, m'éloignant à regret du vieux rivage où je suis né, nageant avec espérance vers une rive inconnue.»Chateaubriand, 1837.
«... Le roman et la vie se confondent, ma vie est une Narration tantôt vécue tantôt imaginée et si un journal américain m'a donné le nom de collectionneur d'âmes, c'est que je ne cesse de faire mon plein de je innombrables, par tous les pores de ma peau...» Romain Gary, La nuit sera calme, 1974. «Malheureusement, Madame Rosa subissait des modifications, à cause des lois de la nature qui s'attaquait à elle de tous les côtés, les jambes, les yeux, les organes tels que le coeur, le foie, les artères et tout ce qu'on peut trouver chez des personnes très usagées. Et comme elle n'avait pas d'ascenseur, il lui arrivait de tomber en panne entre les étages et on était tous obligés de descendre et de la pousser, même Banania qui commençait à s'éveiller à la vie et à sentir qu'il avait intérêt à défendre son bifteck.» Émile Ajar, La Vie devant soi, 1975.
Tout au long de sa carrière, Michel Winock, éminent historien de la république, s'est interrogé sur un mal endémique qui secoue la société française depuis les débuts du régime républicain:le retour continuel des crises. Cette discorde séculaire - qu'il nomme « la fièvre hexagonale» - ne cesse de régner entre gauches et droites, entre courants de pensées et idéologies, et traduit l'extrême difficulté du peuple français à s'entendre, à vivre ensemble et à sentir ce qui lui est adapté. De façon cyclique, il oscille entre désir d'ébranlement de l'État et recherche d'une autorité forte et dominatrice à travers l'avènement d'un homme «providentiel», appelé pour résoudre la situation de crise. Retracer deux siècles et demi d'histoire de France grâce aux textes réunis dans cette édition, c'est ainsi pénétrer dans les rouages d'un certain esprit français, ambivalent, contradictoire, qui ne peut imaginer de solution sans feu, d'horizon sans violence, qui connaît peu ou prou le dialogue et le consensus.De la Commune à la V? République, ces travaux révèlent les expressions et les formes variées d'une conception du pouvoir démocratique en France. Ils en pointent aussi les limites, les paradoxes et l'ambivalence de sa relation avec le peuple français. Fin connaisseur des mouvements intellectuels et politiques, des hommes comme des partis, Michel Winock a bâti une oeuvre importante, autant de Recherches de la France qu'il convient de relire à l'aune de la situation politique et sociale du XXI? siècle et de l'actualité, sur laquelle il livre un éclairage singulier.
Ce volume est organisé en miroir : à la place du traditionnel « Vie et oeuvre » ou de la Préface, il s'ouvre sur des séquences de photos organisées chronologiquement.
Le commentaire de ces photos est composé d'extraits du Journal secret inédit d'Annie Ernaux (elle en a interdit la publication de son vivant). Les photos sont toutes des photos personnelles des proches, des lieux. Photos sans ambition esthétique, mais qui rendent parfaitement compte du projet immense de ce Quarto : Écrire la vie. Cette première écriture, celle de l'instant devenu souvenir, n'a rien de spontané.
L'état des photos en témoigne. Elles ont souffert, la surface a perdu son aspect lisse, elles ont reçu quelques coups malgré tout le soin dont on sent qu'elles ont été entourées. Elles sont précieuses malgré leur modestie, et l'émotion nous étreint, sans que l'on sache pourquoi, à les regarder ainsi rassemblées. Sans doute parce que l'on pressent ce qu'elles cachent derrière ce qu'elles disent. Elles sont la mémoire vive des drames qui constituent la trame de l'écriture des textes, mais sans l'action.
Elles en sont plutôt le décor, les acteurs figurent paisiblement, le café épicerie est là en arrière-fond, la Normandie, Yvetot, les promenades du dimanche, le quai de la gare, un décor et des gens si banals !
Les onze ouvrages sélectionnés pour ce volume, précédemment parus dans la « collection blanche », répondent à ce premier corpus dans un autre registre : le drame assumé, sinon exorcisé. « Écrire la vie » prend alors un autre sens : sans l'écriture qui livre le chemin d'une vie libre, il n'y aurait que souffrance, remords, accablement et refoulement.
La passion de l'écriture se confond avec la passion de la vie, après l'avoir engendrée. Vivre et écrire ne font plus qu'un. Rien n'est banal, rien n'est dérisoire. À ces onze titres s'ajoutent dix textes brefs : tous sont de courts récits, des observations, des réflexions sur l'écriture ou la lecture (à l'exception d'une fiction, « Hôtel Casanova »).
«À eux quatre, ces romans constituent une sorte de fresque qui, du XV? au XVIIIe siècle, développe un même thème, celui de la rencontre des civilisations. Ils restituent autant d'étapes de la dramatique collision de l'Europe avec d'autres peuples, d'autres mémoires et d'autres pensées. Ils forment une longue chronique des malentendus, des occasions manquées, des incompréhensions qui ont abouti à la situation contemporaine.»Jean-Christophe Rufin, Avant-propos.Publiés entre 1995 et 2017, les romans historiques de Jean-Christophe Rufin réunis ici ne font qu'une seule et même promesse au lecteur:celle de l'embarquer dans une épopée littéraire grandiose, qui le portera de la Corne de l'Afrique aux côtes du Brésil, de l'île de Chios à la Sibérie, en passant par Madagascar et l'Égypte... Pour ces voyages en terres lointaines, il aura pour guide des héros qui partagent tous une même vision solaire de l'existence, une énergie et un enthousiasme rares. Grâce à eux, ces épisodes, pour tragiques qu'ils puissent être parfois, deviennent des «aventures heureuses». Le récit historique n'est jamais dans cette oeuvre qu'un moyen de rendre le passé vivant et présent. En nous plongeant au coeur de l'Histoire et de l'humanité, c'est en réalité à la rencontre de l'Autre que l'écrivain nous convie.Augmentée de documents personnels inédits et de textes moins connus, cette édition Quarto offre une occasion unique de dérouler le fil conducteur du parcours de vie de Jean-Christophe Rufin. Ainsi découvrira-t-on l'engagement d'un homme qui n'a cessé d'explorer le monde, par son expérience sur le terrain - comme médecin, humanitaire ou diplomate -, et par la voie de l'écriture, en donnant un nouveau souffle au roman historique.
«Que celui qui pourrait écrire un tel livre serait heureux, pensais-je, quel labeur devant lui! Pour en donner une idée, c'est aux arts les plus élevés et les plus différents qu'il faudrait emprunter des comparaisons; car cet écrivain, qui d'ailleurs pour chaque caractère en ferait apparaître les faces opposées, pour montrer son volume, devrait préparer son livre minutieusement, avec de perpétuels regroupements de forces, comme une offensive, le supporter comme une fatigue, l'accepter comme une règle, le construire comme une église, le suivre comme un régime, le vaincre comme un obstacle, le conquérir comme une amitié, le suralimenter comme un enfant, le créer comme un monde sans laisser de côté ces mystères qui n'ont probablement leur explication que dans d'autres mondes et dont le pressentiment est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l'art. Et dans ces grands livres-là, il y a des parties qui n'ont eu le temps que d'être esquissées et qui ne seront sans doute jamais finies, à cause de l'ampleur même du plan de l'architecte. Combien de grandes cathédrales restent inachevées!» Marcel Proust, Le Temps retrouvé.
Auteur d'une quinzaine de romans traduits dans le monde entier, lauréat de prestigieux prix littéraires, conscience intellectuelle et fervent défenseur de la paix au Moyen-Orient, Amos Oz (1939-2018) est incontestablement une voix majeure de la littérature israélienne contemporaine. Servis par une langue empreinte de poésie, ses récits dépeignent les douleurs et les traumas de l'individu et de la famille, sondent les abysses de l'âme et de la nature humaines, avec pour toile de fond l'histoire d'Israël et celle d'un peuple vivant entre guerre et paix, entre ombre et lumière.Conçu avec l'écrivain avant sa disparition comme une traversée de son oeuvre, reprenant un choix de romans et de nouvelles publiés entre 1965 et 2014, ce volume «Quarto» se clôt par un ensemble de conférences qui constituent son «testament» politique et moral. Éclairée par les contributions de son ami et traducteur anglais, Nicholas de Lange, de sa fille, l'historienne de renom Fania Oz-Salzberger, et de l'autrice Zeruya Shalev, cette édition invite le lecteur à découvrir le regard qu'Amos Oz posait sur le monde, sur son monde - celui de la Jérusalem divisée de son enfance, ville labyrinthique cernée de menaces sourdes, celui du kibboutz, théâtre de tensions entre l'homme solitaire et la collectivité, celui de l'engagement politique. Ponctuée de documents personnels inédits, elle donne à lire les écrits d'«un conteur de grand talent et d'un magicien de la langue hébraïque», qui espérait «un avenir meilleur et oeuvrait en ce sens».Visuel de couverture, légende intégrale:Jérusalem, Tavalina Rinat Kishony, 2020. Acrylique sur toile, www.tavalina.com. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.
Héritée d'une tradition païenne antique, ancrée dans l'opposition et la résistance des Bretons à l'envahisseur germanique, chantée par les bardes dans un dialecte celtique, la légende arthurienne prend corps au IX? siècle, en terre galloise, dans les récits en latin et en prose. C'est à partir de 1130 que l'histoire légendaire de ce roi vaillant et brave, chef charismatique et incontesté, personnage fabuleux et victorieux, connaît un écho retentissant auprès du public, à travers toute l'Europe, grâce à l'ambitieuse chronique du clerc anglais Geoffroi de Monmouth, Histoire des rois de Bretagne. À sa suite, en particulier sous l'impulsion de Chrétien de Troyes, le roman arthurien s'enrichit de nombreux épisodes des aventures du roi et de ses compagnons chevaliers:exploits prodigieux, conquêtes amoureuses, quête du saint Graal...À la lumière de l'histoire culturelle, sociale et politique du Moyen Âge et de ses images (enluminures, sceaux, armoiries...), cette édition propose de mieux comprendre la transformation de la matière dite de Bretagne en l'une des plus grandes légendes de tous les temps.Cycle sans égal inscrit au patrimoine littéraire mondial, la légende arthurienne n'a cessé de nourrir toutes les formes de la création - des récits de Chrétien de Troyes aux opéras de Wagner, aux beautés préraphaélites, jusqu'au nonsense des Monty Python... - et de hanter notre imaginaire.
«Moi, bonheur ou fortune, après avoir campé sous la hutte de l'Iroquois et sous la tente de l'Arabe, après avoir revêtu la casaque du sauvage et le cafetan du mamelouk, je me suis assis à la table des rois pour retomber dans l'indigence. Je me suis mêlé de paix et de guerre; j'ai signé des traités et des protocoles; j'ai assisté à des sièges, des congrès et des conclaves; à la réédification et à la démolition des trônes; j'ai fait de l'histoire, et je la pouvais écrire:et ma vie solitaire et silencieuse marchait au travers du tumulte et du bruit, avec les filles de mon imagination, Atala, Amélie, Blanca, Velléda, sans parler de ce que je pourrais appeler les réalités de mes jours, si elles n'avaient elles-mêmes la séduction des chimères. [...]Je me suis rencontré entre deux siècles comme au confluent de deux fleuves; j'ai plongé dans leurs eaux troublées, m'éloignant à regret du vieux rivage où je suis né, nageant avec espérance vers une rive inconnue.»Chateaubriand, 1837.
À quel envoûtement obéit un jeune Suisse bien né, sur le berceau duquel les fées se sont penchées, pour «prendre la route» à 24 ans, ses diplômes en poche, en Fiat Topolino, mais sans un sou vaillant et pour un aller simple? Il est décidé à en découdre. Avec lui-même, avec la vie et avec l'écriture. De la Yougoslavie au Japon, c'est dur, mais c'est cette dureté qu'il recherche:la descente en soi qui peut être illumination ou descente aux enfers, l'intensité de l'instant et l'ennui qu'il faut meubler avec des riens. Le pittoresque, l'observation ne sont que des supports à la quête de soi et à la douleur de l'écriture, mais ils nous valent des portraits truculents, des récits merveilleux car ce conteur est un enchanteur. Il fait son miel avec les surprises de la route qui ne sont pas ce que l'on croit. Ainsi ce corps encombrant qui réclame chaque jour sa pitance et que frappe un cortège de malarias, de jaunisses à répétitions, sans parler des dents qui prennent la poudre d'escampette. On s'en va «pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu'on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels... Sans ce détachement et cette transparence, comment espérer faire voir ce qu'on a vu?». Mission accomplie. Nicolas Bouvier a payé sa livre de chair et bien au-delà, et son écriture de l'extrême exigence, de l'économie du mot, fait de nous des visionnaires par procuration auxquels il arrache «des râles de plaisir».
En 1966, à vingt-cinq ans, le Québécois Réjean Ducharme fit une entrée remarquée en littérature en publiant chez Gallimard son roman L'Avalée des avalés. De part et d'autre de l'Atlantique, la critique s'est emparée de cet ovni littéraire qui, sélectionné pour le prix Goncourt, entendait bien rester inconnu. En trois décennies, Ducharme a exploré de nombreux genres littéraires (roman, théâtre, scénarios, chansons) et artistiques (assemblage d'objets, peintures, dessins). Toute son oeuvre porte une extrême attention à l'expression, à la langue, à ses trébuchements et à son inconscient. Chez lui, le verbe dialogue, parfois bataille, avec la littérature, entre vénération et démystification, avant de se dépouiller progressivement de ses jeux de mots provocateurs sans perdre son humour.En réunissant l'ensemble des romans de Réjean Ducharme, cette édition «Quarto» propose un éclairage nouveau sur cet auteur emblématique des lettres francophones, grâce aux documents personnels et aux écrits intimes inédits ici reproduits. L'itinéraire qui apparaît confirme l'identification très tôt pressentie entre l'auteur et ses personnages. Des enfants des premiers romans aux déclassés marginaux des derniers, tous incarnent l'absolu de l'amour, de l'amitié et de la liberté, tous expriment le refus d'une société qui marchande tout. Comme les Ferron de L'Hiver de force, Ducharme a vécu en marge, en drop-out, pratiquant tous les métiers pour survivre et pour écrire, voyageur du continent américain comme Bottom dans Dévadé et marcheur des rues de Montréal comme Mille Milles dans Le nez qui voque. Jusqu'à la fin, il sera resté fidèle à ses attachements et radical dans ses décisions.
Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) aspirait à un monde où l'action et le rêve fussent intimement liés, convaincu qu'en cette coïncidence résidait la vérité de l'expérience vécue. Sa voie fut celle du consentement au risque:le désert et les périls aériens, qui ouvrent alors au trésor caché de l'existence, à la révélation de ce qui nous tient fraternellement et spirituellement aux nôtres et au monde. Saint-Exupéry s'est appuyé sur son exceptionnelle expérience d'aviateur pour affirmer sa confiance dans la grandeur humaine, accessible à chacun par l'engagement librement consenti. Toute son oeuvre littéraire - ici resituée dans le mouvement biographique qui l'a vue naître - est une tentative admirable pour restituer poétiquement la substance même de l'existence, sa vérité intime et sincère - celle du coeur. Réunissant les oeuvres littéraires d'Antoine de Saint-Exupéry, de ses premiers contes et poèmes de jeunesse, inspirés par son apprentissage de pilote, à Citadelle, incluant ses quatre grands romans et Le Petit Prince, cette édition est enrichie de très nombreux documents inédits ou méconnus, se fonde sur les plus récentes découvertes et offre pour la première fois dans la collection Quarto un volume illustré en couleurs.
«À ceux qui cherchent un sens à la vie, Camus répond qu'on ne sort pas du ciel qui nous contient. À ceux qui se désolent de l'absurde, Camus raconte que le monde est beau et que cela suffit à remplir le coeur d'un homme. À ceux qui souhaitent la tyrannie parce que l'Homme n'est pas à la hauteur du bien qu'on lui veut, Camus dit qu'il faut aimer les hommes avant les idées. Aux partisans de la haine, il décrit la gratitude. Aux indignés et aux sectateurs d'un «autre monde possible» qui s'endorment, sereins, sur l'oreiller des contestations incontestables, Camus enseigne que la véritable exigence est le contraire de la radicalité. [...] Albert Camus soigne le désespoir par le sentiment qu'il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre; c'est le seul homme normal que je connaisse.» Raphaël Enthoven.
Qui se cache derrière le grand-père malicieux croqué par Ouentin Blake avec son gilet rouge et sa canne, déambulant le crâne chenu dans la campagne anglaise, l'auteur aux deux cents millions d'exemplaires vendus, dont les héros peuplent le panthéon de plusieurs générations de lecteurs? Car il existe en effet un autre Roald Dahl, éclipsé par le succès de son oeuvre pour la jeunesse, mais sans lequel le portrait ne saurait être complet.Plus nouvelliste que romancier, Roald Dahl s'attache très tôt à dépeindre l'humanité ordinaire qu'il côtoie et observe:aristocrates londoniens, bourgeois de Manhattan, employés de bureau, pompistes et braconniers de la vie anglaise... des gens a priori sans histoire, dont l'existence, gouvernée jusque-là par un sentiment de sécurité, déraille subitement en raison d'un élément imprévu.Point de portrait psychologique, mais un sens de la formule et une description physique sévère, qui en quelques traits brossent un caractère. Cette économie de moyens, doublée d'une satire morale, d'une propension à marier le macabre à l'humour, d'un goût pour la fantasmagorie gothique, fait de cet ensemble de textes un joyau de la littérature contemporaine, qui ne cesse de faire frémir, de faire rire... Entre ces nouvelles - macabres ou scabreuses, voire les deux à la fois -, où ceux qui jouent au plus malin sont souvent perdants, et les histoires des petits héros pour la jeunesse, il n'y a en réalité qu'un pas. Roald Dahl balaie d'un revers de main la médiocrité et encourage ses lecteurs à se conduire en conquérants, quitte à s'adonner à quelques filouteries.Complétés par deux récits autobiographiques, Moi, Boy (1984) et Escadrille 80 (1986), qui offrent des clefs indispensables à la lecture, les textes pour adultes réunis ici pour la première fois constituent le socle d'une oeuvre multiple, diverse, teintée d'un inimitable humour noir, celle d'un auteur devenu tout aussi iconique que ses propres personnages.
Nous devons à André Lanly, éminent philologue et professeur émérite à l'université de Nancy, d'avoir servi l'un des monuments les plus difficiles à déchiffrer de la littérature française en osant lui donner sa forme moderne. C'en est fini des obstacles de l'orthographe, du doute sur le sens des mots, de l'égarement suscité par la ponctuation. Lire ce chef-d'oeuvre devient ici un pur bonheur. «Ce ne sont pas mes actes que je décris, c'est moi, c'est mon essence. J'estime qu'il faut être prudent pour juger de soi et tout aussi scrupuleux pour en porter un témoignage soit bas, soit haut, indifféremment. S'il me semblait que je suis bon et sage, ou près de cela, je l'entonnerais à tue-tête. Dire moins de soi que la vérité, c'est de la sottise, non de la modestie. Se payer moins qu'on ne vaut, c'est de la faiblesse et de la pusillanimité, selon Aristote. Aucune vertu ne se fait valoir par le faux, et la vérité n'est jamais matière d'erreur. Dire de soi plus que la vérité, ce n'est pas toujours de la présomption, c'est encore souvent de la sottise. Être satisfait de ce que l'on est et s'y complaire outre mesure, tomber de là dans un amour de soi immodéré est, à mon avis, la substance de ce vice [de la présomption]. Le suprême remède pour le guérir, c'est de faire tout le contraire de ce que prescrivent ceux qui, en défendant de parler de soi, défendent par conséquent d'appliquer sa pensée à soi. L'orgueil réside dans la pensée. La langue ne peut y avoir qu'une bien lègère part.» Les Essais, Livre II, chapitre VI.
Romancier inclassable, essayiste érudit et curieux, lecteur passionné, analyste pointilleux de la société britannique, critique d'art attentif, formidable conteur d'histoires imaginaires, lexicographe en quête du mot juste, Julian Barnes a créé, en explorant de nouvelles formes littéraires et en renouvelant les traditions, une oeuvre riche et variée, emblématique d'une génération de grands écrivains britanniques.Ont été ici retenus cinq romans majeurs, marqués par des tonalités distinctes, publiés entre 1984 et 2018. Roman insolite, mêlant une expérimentation formelle à des jeux intertextuels, Le Perroquet de Flaubert brosse un portrait composite de l'ermite de Croisset. England, England (1998) emprunte les voies de la satire et de la dérision grinçante pour dresser un tableau dégradé de l'Angleterre et de son histoire, ou le simulacre l'emporte sur l'original, où l'ultra-libéralisme et le tourisme de masse triomphent. Le roman historique Arthur & George (2005) interroge quant à lui la notion d'identité nationale dans une Angleterre édouardienne rongée par les préjugés et un racisme latent, ou la rumeur publique parvient à construire un fantasme collectif de culpabitité. Enfin, Une fille, qui danse et La Seule Histoire, parus dans les années 2010, mettent en scène des personnages qui portent un regard rétrospectif sur leur vie, et participent d'une écriture plus intimiste, réflexive et mélancolique.Labyrinthe à plusieurs entrées que cette édition Quarto propose d'explorer, l'oeuvre de Barnes donne à voir de multiptes dimensions du réel et de l'imaginaire sous des formes innovantes qui prennent acte des traditions littéraires mais qui savent aussi s'en éloigner, pour mieux ré-enchanter la littérature.
Comme il l'avait confié à Jaime Sabartés en 1939, Pablo Picasso avait rêvé d'un livre qui «serait le reflet le plus exact de sa personnalité et son portrait le plus fidèle. On y verrait exprimé le désordre qui lui est propre. Chaque page serait un vrai pot-pourri sans la moindre trace d'arrangement ou de composition. [...] Simplicité et complexité s'allieraient comme dans ses tableaux, ses dessins ou ses textes, comme dans une pièce de son appartement ou de son atelier, comme en lui-même».Dans le prolongement de ce désir, la présente édition donne à lire l'ensemble des écrits de Picasso publiés en 1989, auxquels s'adjoignent un grand nombre d'inédits découverts dans l'ancienne collection de Dora Maar, dans des collections privées et celles des musées Picasso (Paris, Barcelone). Composés au crayon noir, en couleurs, à l'encre de Chine, au stylo-bille ou encore au crayon-feutre, ces textes ornent papier à dessin, à lettres, dos d'enveloppe, cartons d'invitation, morceaux de papier journal... Certains sont même gravés, enluminés, lithographiés ou peints, ainsi élevés au rang d'oeuvre d'art.La fascination que continue d'exercer Picasso sur le public rend plus que jamais nécessaire la lecture de ces écrits, souvent méconnus et pourtant indispensables à l'appréhension et à la compréhension de son oeuvre. Cette édition bénéficie des derniers apports de la recherche en cours dans un volume en couleurs, richement illustré d'oeuvres et de manuscrits, et, à la manière d'un parcours muséal, elle permet de s'immerger au coeur du processus créatif de l'un des plus grands artistes du XX? siècle.
«La Légende de Duluoz compte à présent 7 volumes, quand j'aurai terminé, dans environ dix, quinze ans, elle couvrira toutes les années de ma vie, comme Proust, mais au pas de course, un Proust qui court... Je vois à présent la Cathédrale de la Forme que cela représente, et je suis tellement content d'avoir appris tout seul (avec un peu d'aide de messieurs Joyce & Faulkner) à écrire la PROSE SPONTANÉE, de sorte que, même si la LÉGENDE court pour finir sur des millions de mots, ils seront tous spontanés et donc purs et donc intéressants et en même temps, ce qui me réjouit le plus:RYTHMIQUES...»Jack Kerouac, Lettre à Malcolm Cowley, 11 septembre 1955.
«Ces romans réunis pour la première fois forment un seul ouvrage et ils sont l'épine dorsale des autres, qui ne figurent pas dans ce volume. Je croyais les avoir écrits de manière discontinue, à coups d'oublis successifs, mais souvent les mêmes visages, les mêmes noms, les mêmes lieux, les mêmes phrases reviennent de l'un à l'autre, comme les motifs d'une tapisserie que l'on aurait tissée dans un demi-sommeil. Les quelques photos et documents reproduits au début de ce recueil pourraient suggérer que tous ces romans sont une sorte d'autobiographie, mais une autobiographie rêvée ou imaginaire. Les photos mêmes de mes parents sont devenues des photos de personnages imaginaires. Seuls mon frère, ma femme et mes filles sont réels. Et que dire des quelques comparses et fantômes qui apparaissent sur l'album, en noir et blanc? J'utilisais leurs ombres et surtout leurs noms à cause de leur sonorité et ils n'étaient plus pour moi que des notes de musique.» Patrick Modiano.
«Ce sera un essai-roman [...]. Il devra tout englober, sexualité, éducation, manière de vivre, de 1880 à nos jours; et mettre à franchir les années toute l'agilité et la vigueur du chamois qui bondit par-dessus les précipices. C'est l'idée générale, en tout cas, et cela m'a plongée dans un tel brouillard, une telle ivresse, un tel rêve que, déclamant des phrases, et voyant des scènes alors que je remonte Southampton Row, je me demande si j'ai tant soit peu vécu sur terre depuis le 10 octobre. Comme pour Orlando, tout se précipite de soi-même dans le courant.» Journal 1915-1941, 2 novembre 1932, à propos des Années.
Maître incontesté de la science-fiction, auteur de chefs-d'oeuvre tels que Ubik, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques?, récompensé par le prix Hugo en 1963 pour Le Maître du Haut Château, Philip K. Dick (1928-1982) a imprimé ses propres visions dans l'imaginaire de son public, de ses pairs et des cinéastes (Blade Runner, Total Recall, Minority Report).Psychologiquement fragile, hanté par la mort de sa soeur jumelle, par la guerre froide et la menace atomique, il a trouvé dans la science-fiction le moyen d'exprimer ses propres obsessions, sa défiance vis-à-vis du monde qui l'entoure. Lecteur assidu des pulps pendant sa jeunesse, amateur de littérature classique et de philosophie, Philip K. Dick propose très tôt une autre vision de la science-fiction et de la fantasy, loin de l'imagerie des space opera d'alors... Par un recours aux topoï du genre (guerres spatiales, robots menaçants...), au trompe-l'oeil de mondes parallèles, superposés ou truqués, Dick n'a cessé de questionner la réalité, le présent et le futur, en suivant les évolutions historiques et sociétales des États-Unis, dont il dévoilera la face sombre avec une incroyable acuité.Rédigées à partir de 1947, parfois à un rythme frénétique, les nouvelles jouent un rôle essentiel dans la construction dickienne:véritable laboratoire d'idées, de formats, réservoir de personnages et de néologismes, elles constituent à la fois les soubassements et la pierre angulaire d'une oeuvre foisonnante (cent vingt nouvelles et quarante-cinq romans).
Dispersé jusqu'à présent en trois volumes, Les origines du totalitarisme retrouve son unité dans la réunion des trois parties qui le constituent. L'ensemble est accompagné d'un dossier critique qui donne à la fois des textes inédits préparatoires ou complémentaires aux Origines, comme «La révolution hongroise», un débat avec Eric Voegelin, des extraits de correspondances avec Blumenfeld et Jaspers.Pour Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal, des correspondances avec Jaspers, Blücher, Mary McCarthy, Scholem éclairent l'arrière-plan de l'écriture de l'ouvrage et la violente polémique qu'il a suscitée.
Maître incontesté de la science-fiction, auteur de chefs-d'oeuvre tels que Ubik, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques?, récompensé par le prix Hugo en 1963 pour Le Maître du Haut Château, Philip K. Dick (1928-1982) a imprimé ses propres visions dans l'imaginaire de son public, de ses pairs et des cinéastes (Blade Runner, Total Recall, Minority Report).Psychologiquement fragile, hanté par la mort de sa soeur jumelle, par la guerre froide et la menace atomique, il a trouvé dans la science-fiction le moyen d'exprimer ses propres obsessions, sa défiance vis-à-vis du monde qui l'entoure. Lecteur assidu des pulps pendant sa jeunesse, amateur de littérature classique et de philosophie, Philip K. Dick propose très tôt une autre vision de la science-fiction et de la fantasy, loin de l'imagerie des space opera d'alors... Par un recours aux topoï du genre (guerres spatiales, robots menaçants...), au trompe-l'oeil de mondes parallèles, superposés ou truqués, Dick n'a cessé de questionner la réalité, le présent et le futur, en suivant les évolutions historiques et sociétales des États-Unis, dont il dévoilera la face sombre avec une incroyable acuité.Rédigées à partir de 1947, parfois à un rythme frénétique, les nouvelles jouent un rôle essentiel dans la construction dickienne:véritable laboratoire d'idées, de formats, réservoir de personnages et de néologismes, elles constituent à la fois les soubassements et la pierre angulaire d'une oeuvre foisonnante (cent vingt nouvelles et quarante-cinq romans).Au tome I de cette édition, les nouvelles composées entre 1947 et 1953 offrent une immersion aux sources du processus créatif de l'auteur, avec l'émergence d'un genre propre et l'apparition de thèmes qui nourriront l'ensemble de son oeuvre future. Si Dick emprunte aux standards de la science-fiction des années 1940-1950, il fait de chaque nouvelle le terrain d'expression d'une idée centrale, d'une exploration sans limite des mondes équivoques.