Dans ces douze cahiers, que Kafka qualifie parfois de Journal, observations de vie quotidienne, rêves, visions, fulgurations, réflexions et même dessins alternent avec de multiples débuts de récit, certains répétés comme s'il s'agissait de réchauffer un moteur narratif refroidi. Dans cette galaxie brille un seul récit achevé, Le Verdict, écrit d'une traite une nuit de 1912, devenu pour l'écrivain le modèle du bonheur de raconter.
Mille et une nuits d'écriture de notations et de récits qui mettent en scène les affres et les exaltations de celui qui dit de lui-même :
Finir prisonnier - ce serait un but dans la vie. Mais c'était une cage entourée d'une grille... comme s'il était chez lui le bruit du monde affluait et ressortait par la grille, en fait le prisonnier était libre, il pouvait avoir part à tout, rien au dehors ne lui échappait... il n'était même pas prisonnier.
Loin des sanctifications et des discordes, ces carnets nous font entrer avec Kafka au pays de l'écriture.
D. T.
800 pages,
« Au terme de cette enquête [.], je souhaiterais formuler le résultat suivant : dans le complexe d'oedipe se rejoignent les débuts de la religion, de la morale, de la société et de l'art, en totale concordance avec ce constat de la psychanalyse que ce complexe constitue le noyau de toutes les névroses, pour autant que notre intelligence soit parvenue à en forcer l'accès. C'est pour moi une grande surprise que même ces problèmes relatifs à la vie psychique des peuples soient susceptibles d'être résolus à partir d'un unique point concret, comme l'est le rapport au père ».
Sigmund Freud
« Quand la recherche médicale sur l'âme, qui doit généralement se contenter d'un matériau humain plutôt médiocre, aborde une grande figure du genre humain, elle n'obéit pas aux mobiles que lui imputent si fréquemment les profanes. Elle ne cherche pas à «noircir ce qui rayonne et à traîner le sublime dans la boue» ; elle n'éprouve aucune satisfaction à réduire la distance entre cette perfection et l'insuffisance de ses objets ordinaires. Bien au contraire, tout ce qu'il est possible d'observer chez ces grands modèles lui semble mériter d'être un objet d'étude et d'intelligence, et elle pense que personne n'est si grand qu'il puisse être infamant pour lui d'obéir aux lois régissant avec la même rigueur conduite normale et conduite morbide. »
En se penchant longuement et obstinément, en 1907, sur le bref roman de Wilhelm Jensen, Gradiva, fantaisie pompéienne, qu'il devait considérer par la suite comme une « petite nouvelle sans grande valeur par elle-même », Freud s'acquitte d'une sorte de dette originelle de la théorie psychanalytique envers les créations littéraires. Il pose en particulier dans cet essai - où les productions imaginaires se succèdent et agissent sans cesse sur le cours des événements - que les rêves inventés par les écrivains peuvent être interprétés comme s'ils étaient des rêves réels. Toute la fantasmagorie du personnage principal, un archéologue allemand qui part à Pompéi après un cauchemar où il a vu périr dans l'éruption une jeune fille qu'il surnomme « Gradiva », celle qui marche, devient la substance d'une vérification de la théorie psychanalytique en cours d'élaboration, y compris dans la perspective de la cure. Dans le même temps, croyant pouvoir élargir sa démarche à la connaissance indirecte de la personnalité psychique de l'auteur Jensen, Freud exhibe un engouement spécifique pour cette histoire, qui fait aussi de sa Gradiva un élément indirect de son autobiographie.
Séduite par un courtier en assurances, enceinte de ses oeuvres, Margarete a si bien dissimulé son état que la voici sur le point d'accoucher, dans sa chambre, à l'insu de ses parents. Aussitôt commence une hallucinante nuit d'angoisse. L'aube vient, l'enfant naît, et sa mère commet l'irréparable... De ce fait divers - car c'en est un - Karin Reschke tire un récit poignant de réalisme. Or, elle se souvient en même temps du mythe de Faust. C'est à l'héroïne de Goethe, c'est à Marguerite qu'elle songe lorsqu'elle raconte l'amour et le désespoir d'une jeune fille de notre époque. De sorte que, du fond des âges, comme en écho à un drame contemporain, monte une douleur lancinante, éternelle - un chant dont seule une femme, au plus secret d'elle-même, pouvait saisir les harmoniques.
Salué dès sa parution en 1906 par un des plus grands critiques allemands de l'époque, Alfred Kerr, Les égarements [dans notre traduction] de l'élève Törless fut le seul succès littéraire de Musil de son vivant.
Ce roman philosophique, autrement qualifié de « roman d'apprentissage », débute avec l'entrée du jeune Törless dans une école privée huppée de la fin de la monarchie en Autriche-Hongrie. Jusqu'au moment où un événement majeur se produit au sein de l'école : un vol d'argent, soit un acte hors des normes d'une idéologie aristocratique régissant l'éducation de ces jeunes gens destinés aux plus hautes fonctions...
Ce qui intéresse Musil dans son livre, c'est la nature des troubles auxquels la sensibilité littéralement hors du commun de Törless est exposée. Opposition de ce fait mise à l'épreuve par une connivence de l'élève avec des congénères mus par une double ambition, politique pour l'un et philosophique orientaliste pour l'autre. Cette ambition a besoin d'une victime, laquelle sera précisément l'auteur du vol, Basini, qui, identifié comme tel, va faire l'objet de sévices sexuels. Törless ne s'identifiera quant à lui jamais ni à cette double ambition ni aux souffrances de la victime ; cependant ce que les tortionnaires sexuels ressentent en torturant et ce qu'éprouve la victime l'interrogent...
Après la Seconde Guerre mondiale, l'Europe était en ruines. De nombreuses villes, routes et installations industrielles étaient détruites. Les décisions importantes concernant le sort du monde se prenaient désormais à Washington et à Moscou. La réémergence de l'Europe dans l'ère de la Guerre froide est le thème central de ce livre.
En examinant à la loupe la situation de l'emploi, de la famille, comme les systèmes éducatifs, les habitudes de consommation, les flux migratoires et les systèmes de sécurité sociale dans les différents pays, Harmut Kaeble dégage ce qui ressort des valeurs européennes communes et souligne les divergences. Il livre ici une synthèse convaincante des tendances européennes de l'époque et parvient non seulement à montrer que l'histoire sociale, culturelle et économique a le même poids que l'histoire politique, mais aussi à expliquer l'histoire de l'Europe dans son contexte global.
Le conflit Est-Ouest est terminé et nous assistons à l'émergence de nouvelles puissances mondiales, tandis que les Etats-Unis prétendent au rôle d'unique superpuissance, garante d'un nouvel ordre mondial, dont ils veulent édicter les lois.
L'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, dont l'avis est respecté dans le monde entier, décrit la voie que devrait emprunter l'Union européenne pour s'affirmer sur la scène internationale, relever les défis de la mondialisation économique, technique et financière, et affirmer son identité culturelle. Sa thèse de base est que l'intégration européenne, à certaines conditions qu'il décrit avec précision, est dans l'intérêt national bien compris de chacun des Etats membres de l'Union : " Je suis européen par patriotisme.
" Il réaffirme enfin avec une vigueur particulière que l'entente franco-allemande est la pierre angulaire de la construction européenne.
Sur chacun des problèmes abordés, les étapes de la démonstration sont les mêmes : information factuelle, état du problème, description des voies possibles, analyse du choix ou - et c'est le dernier privilège de l'homme d'Etat qui n'est plus au pouvoir - raisons de l'indécision.
Une véritable leçon de choses politique.